Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, est un livre superbe de Patrick Modiano, une enquête indéterminée, une quête personnelle surtout, en tout cas, un excellent livre de notre Prix Nobel.
Quand un inconnu vous appelle au téléphone avec une voix « molle et menaçante », la première envie est de raccrocher vite fait. Mais quand cet inconnu a retrouvé votre carnet d’adresses, il faut bien le rencontrer. Et c’est ce que fait Jean Daragane.
De cette rencontre, un fil vers le passé va se tendre, inattendu, s’emmêler, mener vers des pistes dont certaines sont sans fin et sans suite, comme une enquête policière, comme une narration qui se poursuit, et qui s’arrête. Comme dans la vie, où tout n’est pas lisse et attendu.
Jean Daragane se replonge dans des souvenirs qu’il pensait enfouis à jamais, fait resurgir de sa tête des bribes, des sons, des images, puis des personnages, des paroles et des lieux, jusqu’à remonter au temps de son enfance.
Les phrases, très fluides, ont un côté mystérieux, net et pourtant, flou en même temps ; elles sont envoûtantes, nostalgiques ou inquiétantes.
Ce roman contient exactement ce qu’il faut de suspens, d’attente, de retour vers le passé, d’indices, et en même temps de brouillard, pour maintenir la lecture dans une merveilleuse attente de la page suivante. Et puis surtout, il dégage une étrange et douce beauté.
En plus, le personnage de Jean Daragane, solitaire mais curieux, possède suffisamment de caractéristiques de Patrick Modiano pour qu’on s’interroge, est-ce lui, quelles sont les parties qui sont proches de sa vie ? Beaucoup semble-t-il, oui, beaucoup.
C’est un livre qui possède un halo étrange, indéfinissable, comme la recherche du personnage, comme la recherche de Modiano peut-être, mais un halo lumineux et mélancoliquement efficace.
Les premières lignes :
Presque rien. Comme une piqûre d’insecte qui vous semble d’abord très légère. Du moins, c’est ce que vous vous dites à voix basse pour vous rassurer.
La présentation des éditions Gallimard (ou lien direct site) :
« – Et l’enfant? demanda Daragane. Vous avez eu des nouvelles de l’enfant?
– Aucune. Je me suis souvent demandé ce qu’il était devenu… Quel drôle de départ dans la vie…
– Ils l’avaient certainement inscrit à une école…
– Oui. À l’école de la Forêt, rue de Beuvron. Je me souviens avoir écrit un mot pour justifier son absence à cause d’une grippe.
– Et à l’école de la Forêt, on pourrait peut-être trouver une trace de son passage…
– Non, malheureusement. Ils ont détruit l’école de la Forêt il y a deux ans. C’était une toute petite école, vous savez…»
Patrick MODIANO, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier
Parution : Octobre 2014, Gallimard, 146 pages
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(Dernière mise à jour : 08/11/2014
Ne rate pas » un pedigree » qui est plus ouvertement autobiographique et tout à fait splendide…
Ah oui, un Pedigree aussi ! Ma liste Modiano augmente de jours en jours 😉
Alors là tu m’épates Laure, car ce Modiano n’a pas été très apprécié par des gens qui connaissaient mal le reste de son oeuvre, il y a tellement de références à ses autres livres que je me demandais si on pouvait l’apprécier sans les connaître. Je dois dire que du coup ton billet me réjouit complètement, ça veut dire que tu es une modianette en devenir, et pour moi ça veut dire beaucoup.
Moi j’ai lâchement attendu que l’affaire Modiano se tasse pour publier mon billet sur ce livre que, comme toi, j’ai adoré.
Des bises
Je t’avoue Galéa que je n’ai pas bien compris pourquoi ce livre n’a pas été très apprécié, je le trouve vraiment super. Je remercie mes lacunes alors 😉 En tout cas, bien contente d’être une modianette en devenir, parce que si les autres livres sont supposés « meilleurs », mais quel plaisir immense je vais prendre ! Je m’en régale par avance, et je comprends carrément (et enfin) pourquoi tu es une grande fan 🙂
bise
Dora Bruder est aussi mon préféré. Mais j’ai beaucoup aimé celui-là aussi. Du Modiano pur sucre 😉
D’accord, Dora Bruder aussi. Bon, il va falloir que je le lise très vite, merci du conseil.
Je n’ai lu de Patrick Modiano que Dimanche d’août, donc ça date.
Je note celui-ci 🙂
Je n’ai pas (encore) lu Dimanche d’août, mais je l’ai de côté, qui m’attend sagement 🙂
Merci pour ce billet. Et même si je ne vois pas bien ce que peut être une voix « molle et menaçante », je sais que Modiano peut beaucoup.
J’ai plus envie de relire Dora Bruder, qui m’a beaucoup marquée à l’époque, mais pourquoi pas aussi ce titre-là…
Je vais glisser Dora Bruder à ma liste Modiano, juste après Rue des Boutiques Obscures alors
Moi aussi je vote pour Dora Bruder, c est mon préféré !
Ah bon ? Je vais peut-être le changer dans l’ordre de mes priorités de lecture de Modiano alors 🙂