Prix du Roman FNAC 2016, avec son premier roman Petit pays, Gaël Faye ravive les souvenirs des conflits ethniques et politiques entre Tutsi et Hutu, en racontant à travers les yeux du petit Gabriel, un quotidien heureux et insouciant qui s’écroule.
Dès les premières pages, Gaël Faye m’a mise dans sa poche. J’ai trouvé le petit Gaby « haut comme trois mangues » de 10/12 ans, qui vit au Burundi dans une impasse avec son père français et sa mère rwandaise (qui rêve de rentrer au pays) très attachant. Bien plus, les formules choisies par Gaël Faye pour décrire sa vie et ses pensées en ces années 1992/1994, en prenant le garçonnet comme narrateur, m’ont paru agréablement désinvoltes et réfléchies, fraiches et ensoleillées.
J’ai adoré me promener avec Gaby et ses copains sur les « routes asphaltées » (par opposition aux pistes), les entendre s’insulter avec amitié (« banc de poissons puceaux », « bouts de viande de chèvre avariée », « fils de prépuce », « grande gueule de gavial »), découvrir Gaby tomber amoureuse de Laure, sa correspondante française, et me plonger dans ce voyage littéraire en découvrant la guenon apprivoisée, le pluvian, le lycaon, les dendrocygnes, les varans et autres animaux du soleil. Cette lecture était tellement réjouissante que j’ai même pensé un instant que ce livre était un feelgood book parfaitement réussi.
Puis les failles ont commencé à apparaître, à se creuser, et à se creuser tellement que la claque a été phénoménale. La réalité politique du Burundi et du Rwanda s’est installée. L’instabilité politique, le conflit des Tutsi et des Hutu est devenu le vrai sujet du livre. Il l’avait toujours été. Le Crépuscule des dieux de Wagner annonce le coup d’état du 21 octobre 1993. C’est le début de la guerre civile et le commencement d’un déchaînement meurtrier et d’une violence inouïe entre les Tutsi et les Hutu, une haine historique, un massacre qui durera des années. Le pays s’écroule, les amitiés et la famille avec. Le petit Gaby tente de tenir le coup.
« On apprivoisait l’idée de mourir à tout instant. La mort n’était plus qu’une chose lointain et abstraite. Elle avait le visage banal du quotidien. Vivre avec cette lucidité terminait de saccager la part d’enfance en soi »
Gaby avait trouvé refuge dans son impasse, avec ses copains, mais les effets politiques se ressentent aussi chez les enfants et des dissensions apparaissent entre eux. Il se réfugie également dans les livres, grâce à une voisine compréhensive et grande lectrice. C’est sa soupape de sécurité.
« Il faut se méfier des livres, ce sont des génies endormis ».
Il faut se méfier des auteurs, ce sont aussi des génies endormis. Bravo Gaël Faye, qui réussit magistralement son premier essai, qui brille autant dans la légèreté que dans le drame, avec un style littéraire personnel fluide et travaillé, sensible et drôle.
Pour en savoir plus, notamment sur le caractère autobiographique du roman, je vous invite à découvrir la video de Gael Faye, qui présente son livre. Il indique notamment qu’il était également au Burundi à la même époque, mais qu’il n’était pas lucide des événements, alors que son personnage, Gabriel lui, l’est. Ses souvenirs d’enfance et le caractère autobiographique de ce roman l’éclairent d’une vivacité et d’une réalité qui sans aucun doute en donnent toute la saveur et la beauté.
Lecture commune avec Béa Comète.
Prix du Roman FNAC 2016
Goncourt 2016 : première sélection
Prix Médicis : 1ère sélection
Grand Prix de l’Académie française 2016: 1ère sélection
Prix Fémina 2016 : 1ère sélection
Prix des étudiants France culture / Télérama : 1ère sélection
Les premières lignes de Petit pays :
(ou lire un extrait plus long)
Je ne sais pas comment cette histoire a commencé. Papa nous avait pourtant tout expliqué, un jour, dans la camionnette.
– Vous voyez, au Burundi c’est comme au Rwanda. Il y a trois groupes différents, on appelle ça les ethnies. Les Hutu sont les plus nombreux, ils sont petits avec de gros nez.
La présentation de Petit Pays par les éditions Grasset :
En 1992, Gabriel, dix ans, vit au Burundi avec son père français, entrepreneur, sa mère rwandaise et sa petite sœur, Ana, dans un confortable quartier d’expatriés. Gabriel passe le plus clair de son temps avec ses copains, une joyeuse bande occupée à faire les quatre cents coups. Un quotidien paisible, une enfance douce qui vont se disloquer en même temps que ce « petit pays » d’Afrique brutalement malmené par l’Histoire. Gabriel voit avec inquiétude ses parents se séparer, puis la guerre civile se profiler, suivie du drame rwandais. Le quartier est bouleversé. Par vagues successives, la violence l’envahit, l’imprègne, et tout bascule. Gabriel se croyait un enfant, il va se découvrir métis, Tutsi, Français…
« J’ai écrit ce roman pour faire surgir un monde oublié, pour dire nos instants joyeux, discrets comme des filles de bonnes familles: le parfum de citronnelle dans les rues, les promenades le soir le long des bougainvilliers, les siestes l’après-midi derrière les moustiquaires trouées, les conversations futiles, assis sur un casier de bières, les termites les jours d’orages… J’ai écrit ce roman pour crier à l’univers que nous avons existé, avec nos vies simples, notre train-train, notre ennui, que nous avions des bonheurs qui ne cherchaient qu’à le rester avant d’être expédiés aux quatre coins du monde et de devenir une bande d’exilés, de réfugiés, d’immigrés, de migrants. »
Avec un rare sens du romanesque, Gaël Faye évoque les tourments et les interrogations d’un enfant pris dans une Histoire qui le fait grandir plus vite que prévu. Nourri d’un drame que l’auteur connaît bien, un premier roman d’une ampleur exceptionnelle, parcouru d’ombres et de lumière, de tragique et d’humour, de personnages qui tentent de survivre à la tragédie.
Gaël FAYE
Petit pays
Grasset, Août 2016, 224 pages.
9ème lecture du Challenge 1% Rentrée Littéraire 2016
Malgré un première partie ennuyeuse et rébarbative, c’est quand la guerre éclate entre Hutus et Tutsi que Gaël Faye fait éclater tout son talent de conteur. Certes, les comparaisons, phrases nominales et « ça » abondent, mais force est de constater que pour un coup d’essai, ce premier roman fait figure de coup de maître tant le lecteur demeure happé par l’exotisme du récit et par le réalisme des chapitres de guerre au-delà de la page 100.
L’ange Gabriel perd son innocence et fait l’expérience de la violence en même temps que le lecteur qui revit avec horreur le plus grand génocide de la fin du XXe siècle. Le fond l’emporte sur la forme et c’est le grand mérite de l’auteur qui offre ainsi aux morts une sépulture et permet aux vivants de maintenir leur souvenir vivace. Un Petit pays pour un grand roman.
La première partie ne m’a pas semblé ennuyeuse et rébarbative, et j’ai trouvé que son talent de conteur se voyait dès les premières pages. Ceci étant, il est vrai qu’il en montre une autre facette, et partant toutes ses capacités d’écrivains, avec la partie du la guerre entre Hutus et Tutsi. Une vrai réussite, et en plus, il cumule les distinctions, il le mérite.
Je n’ai vu que des échos de ce livre que je comptais lire ! Ce me conforte pour mes prochaines lectures du mois 😉
Oui, aucun risque à avoir avec celui là !
J’ai hâte de le lire !
Comme je te comprends !
Coup de coeur aussi pour moi… il va forcément recevoir d’autres prix !
Je ne suis pas allée jusqu’au coup de coeur, mais ce n’est pas loin.
Il me le faut !!
Vous allez bien nous faire une petite lecture commune avec Jérôme !
Coup de cœur pour moi ! Un livre entre tendresse et tumulte, une parfaite réussite ! Goncourt des Lycéens, peut-être Prix de l’Académie (la « langue » est belle) mais un bouquin extra, c’est sûr !
C’est vrai que l’Académie, ce serait possible, mais un Goncourt des Lycéens, ou le Prix du roman des étudiants France Culture / Télérama, je pense que c’est plus probable 🙂
Magnifique livre et double plaisir à le partager avec toi :))
Double plaisir partagé !
Il est dans ma PAL : lecture prévue pour début novembre.
Ton billet ne fait que confirmer l’intérêt que je porte à ce livre.
Espérant ne pas être déçue 😉
L’espérant aussi. C’est toujours un peu le risque avec une grande attente à la suite de nombreux avis positifs…
Avec tous ces avis positifs, cela va être difficile de passer à côté.
Mais, mais, mais, il ne faut pas passer à côté 😉
Il va être couvert de prix et ce sera mérité… C’est un sujet grave avec un traitement magnifique qui le rend très efficace (il y a de très jolies trouvailles d’écriture). Et s’il a plein de prix, il sera beaucoup acheté et beaucoup lu et un tel livre, plus il est lu mieux c’est !
Tout à d’accord ! En plus, il est très accessible et peut vraiment être lu à tous les âges. Je pense en effet qu’il va en avoir d’autres de prix, ce n’est pas possible autrement !
Cette lecture me tente beaucoup, j’ai l’impression que cette rentrée littéraire est de bonne qualité.
Je trouve en effet qu’on parle beaucoup de la qualité de certains livres, mais malheureusement, je n’en ai pas encore lu beaucoup. Je bloque du temps, mais il m’en manque toujours.
Tu trouves toujours les mots justes pour parler des émotions éveillées par la lecture 🙂
C’est gentil Tiphanie, merci.
Il sera (ou est) à la bibli donc je pourrai le lire!
D’habitude, ta bibliothèque est très efficace Keisha 😉
Te voila à ton tour sous le charme. Décidément, ce premier roman fait l’unanimité.
Et si je te disais que j’ai commencé ma lecture bougon, en me disant que je ne l’aimerais pas ce livre … Prise à mon propre pièce.
Je te comprends car je me méfie aussi un peu quand je lis trop de bonnes critiques sur un livre, mais pour celui-ci, vraiment, je ne vois pas ce qu’on pourrait lui reprocher !
Tout est bien maîtrisé, c’est clair ! Il explique dans sa vidéo qu’il a toujours écrit, et que pour lui, c’est un auteur et qu’écrire un texte pour une chanson, c’est écrire. On voit bien qu’en effet, écrire, il sait faire.
Je compte le lire bientôt, j’espère que cela me plaira 🙂
Je l’espère aussi Léa, mais j’avoue que je ne doute guère …
Il est partout . J’attends de pouvoir le réserver à la BM mais ça sera plus tard, vu le tapage médiatique actuel, je pense début 2017 !
C’est bien ce tapage médiatique qui m’avait fait hésiter à le lire !
j’attends avec impatience de le recevoir de Price Minister !
Je te comprends ! Mais qu’est-ce qu’ils font à Price Minister 😉
On est d’accord ! Ça me fait hyper plaisir 🙂 j’ai envie de défendre ce livre ( qui n’en a pas besoin je sais bien …)
Ca n’empêche pas de le défendre quand même 😉
Oui, vraiment, celui-ci je veux le lire. Ton billet très convaincant vient s’ajouter à ceux que j’ai lus précédemment.
Il m’a convaincue malgré moi, c’est pour dire !
Je parie pour le Goncourt des lycéens !!
Je n’y avais pas pensé, mais oui, ça irait parfaitement bien !